martes, julio 07, 2009

La Salada en Le Monde

Nuestro enviado especial de lujo, Monsieur Keló nos pasa esta nota de Christine Legrand del 23 de junio 2009

Link:
http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/06/23/la-salada-marche-des-pauvres-de-buenos-aires-attire-desormais-la-classe-moyenne_1210280_0.html


Il fait encore nuit et sur un fond musical de cumbia, des centaines de personnes s'engouffrent dans les allées étroites de La Salada. C'est l'un des plus grands marchés informels d'Amérique latine. A la frontière entre la capitale et la province de Buenos Aires, trois hangars s'étendent sur 20 hectares. Un labyrinthe au milieu de bidonvilles et de terrains vagues couverts d'ordures. Une image tiers-mondiste de l'Argentine, à seulement 20 kilomètres de Buenos Aires, qui a fait irruption dans la campagne pour les élections législatives du dimanche 28 juin.

La Salada ouvre les dimanches et les jeudis, de l'aube jusqu'en début d'après-midi. Son chiffre d'affaires est estimé à 6 millions d'euros par semaine. Elle emploie 6 000 personnes et reçoit jusqu'à 50 000 visiteurs par jour, venus des banlieues pauvres de Buenos Aires, mais aussi d'autres provinces, et même du Brésil ou du Paraguay, dans des tours d'achats organisés, à bord de centaines d'autobus. Les grossistes revendent les marchandises sur d'autres marchés informels.

Malgré la marée humaine, règne un silence presque religieux. On parle peu, pour demander un prix ou une taille. Pas de cabines d'essayage ni de factures. Il faut payer en liquide. Les vêtements, qui valent moitié moins cher que dans la capitale, sont fabriqués dans des ateliers clandestins qui emploient une main-d'oeuvre bon marché et au noir.

Dans les 15 000 stands, on peut tout acheter : montres, appareils électroniques, CD, DVD, lingerie fine et perruques. "Ici, tout est trucho (falsifié)", lance en riant un gamin qui vend des bébés tortues et des petits perroquets entassés dans une boîte à chaussures.

Les chambres de commerce dénoncent La Salada comme un temple de la contrefaçon et un paradis de l'évasion fiscale, un des fléaux de l'Argentine. En 2007, une enquête de l'Union européenne (UE) sur la piraterie l'a désignée comme un des hauts lieux du commerce et de la production de marchandises falsifiées.

A l'inverse, La Salada a été défendue par un jeune économiste formé aux Etats-Unis, Alfonso Prat Gay, ancien président de la Banque centrale et candidat centriste aux législatives. Pour ce défenseur des PME, les travailleurs de La Salada sont des "entrepreneurs qui prennent des risques". Il dénonce l'hypocrisie d'un pays où la principale fraude fiscale relève des grosses fortunes et des grandes entreprises.

Environ 40 % des Argentins travaillent au noir, l'évasion fiscale atteint 40 % dans le secteur agricole, 54 % dans l'industrie, 73 % dans la construction, selon l'Agence des impôts de la province de Buenos Aires (ARBA). Son ancien directeur, Sergio Montoya, qui a pris ses distances avec le gouvernement Kirchner, a appelé en vain à la croisade contre La Salada.

Mais la province de Buenos Aires est décisive en période électorale. C'est là que se jouera l'avenir du couple présidentiel formé par la présidente Cristina Kirchner et son époux, l'ancien président Nestor Kirchner, candidat à un siège de député. La province regroupe 40 % des électeurs. La majorité vit du clientélisme des autorités locales.

"La Salada est un thermomètre du pays", assure Enrique Antequera, l'un des responsables du marché. L'inflation galopante et la crise ont entraîné une baisse de 40 % de la consommation populaire. Le marché des pauvres accueille désormais des clients de la classe moyenne, qui ont abandonné leurs préjugés et le confort des luxueux centres commerciaux.

Affirmant payer les taxes municipales, M. Antequera admet que la majorité des marchandises de La Salada sont des imitations. "Mais ici, au moins, on donne du travail à des milliers d'Argentins et on propose des produits à tous ceux qui ne peuvent pas s'acheter des baskets à 80 euros", défend-il.

"A Buenos Aires, les prix des vêtements ont doublé en un an", renchérit Marta, une psychologue qui est venue faire des courses avec son mari et son frère. On ne va jamais seul à La Salada, par peur des bousculades et des vols.

Une poignée de Boliviens, qui vendaient des vêtements importés et proposaient des plats bon marché, ont lancé l'endroit en 1991. Sous la présidence du général Juan Peron, dans les années 1950, ces terrains abandonnés étaient des piscines populaires d'eau salée, d'où son nom La Salada.

Des odeurs nauséabondes montent du Riachuelo, le fleuve qui sépare la province de Buenos Aires et la capitale, gravement contaminé. Depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont promis de le nettoyer. Sans suite. Sur la rive, des ribambelles d'enfants jouent avec des cerfs-volants. Ils rêvent peut-être de fuir un des faubourgs les plus insalubres de Buenos Aires.

Christine Legrand